PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

« Les transports structurants doivent être déployés en fonction de l’achalandage potentiel – et non des votes – si on veut que la facture présente un rapport coûts-bénéfices avantageux », argue Stéphanie Grammond.

————————————

Cliquez ici: Comment tuer un mégaprojet de transport collectif en trois étapes faciles, un éditorial de Stéphanie Grammond.
Retrouvez le texte original de La Presse publié le 25 novembre 2023. La présente publication vise à contrer la nouvelle politique de META qui refuse de partager le contenu des organes de presse canadiens en réponse à la Loi canadienne sur les actualités en ligne (C-18). Nous appuyons le journalisme de qualité et vous encourageons à vous abonner aux médias que vous appréciez.
————————————
Stéphanie Grammond
Stéphanie Grammond, La Presse

Comment tuer un mégaprojet de transport collectif en trois étapes faciles

 

Au Québec, la gestion des projets de transport collectif sonne comme ce fameux tube de Plastic Bertrand dans les années 1980. On avance, trop vite. On recule. On flambe des millions en études – près de 100 millions pour le REM de l’Est et 527 millions pour le tramway de Québec – et on se demande toujours après des décennies : « Stop ou encore ? »

Les révélations de La Presse, cette semaine, sont éloquentes.

Les consultations sur la « ligne rose » entre le centre-ville et Lachine viennent d’être débranchées par François Legault1 qui avait aussi retiré à la Ville de Québec son projet de tramway dont les coûts avaient plus que doublé, à 8,4 milliards. Le prolongement de la ligne bleue du métro est en panne de soumissionnaires2. Et pendant ce temps, le REM de l’Est demeure sur la voie d’évitement.

Ce n’est pas pour être cynique, mais avec toutes ces tergiversations, on peut écrire la recette pour faire dérailler un projet de transport structurant en trois étapes simples.

 

Première étape : sautez les étapes

Avec une bonne dose de politisation, déterminez la solution avant d’avoir analysé les besoins.

Déroulez le REM dans le « West Island » pour plaire aux circonscriptions libérales. Faites du déploiement jusque dans les circonscriptions caquistes de Lanaudière une « condition non négociable » pour la nouvelle version du REM de l’Est.

Sans blague, les transports structurants doivent être déployés en fonction de l’achalandage potentiel – et non des votes – si on veut que la facture présente un rapport coûts-bénéfices avantageux.

Pour cela, il faut un chef au-dessus de la mêlée, ce qui n’est pas simple.

Dans la capitale nationale, c’est à CDPQ Infra que Québec a confié le mandat de revoir le projet du tramway et du troisième lien, ressuscité d’entre les morts même si l’achalandage ne le justifie pas.

Curieuse décision.

Il est vrai que le ministère des Transports n’a pas l’expertise pour étudier ces mégaprojets qui sont beaucoup plus complexes que la construction de routes ou de ponts, en raison de leur taille et de leur aspect multidisciplinaire.

Et il est vrai aussi que la Caisse de dépôt a développé une expertise inestimable en la matière. Mais avec le REM, on a vu qu’elle prenait des décisions pour maximiser son achalandage en cannibalisant les services existants, plutôt que pour optimiser le réseau au profit de l’ensemble de la collectivité.

Par souci d’indépendance, il vaudrait mieux créer une agence vouée aux transports collectifs, comme la CAQ songe à le faire. Mais il ne suffit pas d’ajouter une structure pour régler les problèmes, comme on l’a vu avec la création de l’Autorité régionale des transports de Montréal (ARTM) qui n’a d’autorité que le nom.

Il faut un réel changement de mentalité. Pourquoi ne pas s’inspirer de l’Ontario ou de Vancouver, où les agences Metrolinx et TransLink ont repris le dessus en modifiant leur gouvernance pour installer des experts à la place des élus pour dépolitiser le débat ?

 

Deuxième étape : faites fuir les soumissionnaires !

Du tramway de Québec à la ligne bleue du métro, les consortiums lèvent le nez sur nos grands projets en zone urbaine qui comportent beaucoup d’inconnues. Pour couvrir tous les risques financiers, ils soumissionnent au fort prix. Ou bien ils sautent leur tour et on se retrouve avec une seule soumission. Un œil au beurre noir pour la concurrence.

À l’étranger, c’est différent.

En Europe, par exemple, on compte davantage de fournisseurs, car les chantiers sont nombreux et les gouvernements ont une vision claire sur des décennies (pensez au mégachantier du Grand Paris Express) ce qui encourage les entreprises à s’installer.

Au Québec, une plus grande prévisibilité permettrait de développer une expertise au lieu de décourager les fournisseurs.

Notre processus d’appel d’offres mérite aussi une sérieuse réflexion.

Ailleurs, différentes formules permettent de travailler davantage en collaboration avec l’industrie pour bonifier le concept. Avec la formule du « progressive design-build », les partenaires sont sélectionnés en fonction de leurs qualifications (solidité financière, expériences passées) et de leur capacité à collaborer.

Cela permet d’avancer la conception du projet pendant un an ou deux, en réduisant les inconnues. Le client peut faire des choix techniques pour équilibrer les coûts et optimiser le produit final. Et le consortium a plus de temps pour établir son prix qui repose sur un projet moins risqué.

Si le prix ne convient pas, il y a toujours une voie de sortie qui permet au donneur d’ordres de reprendre les clés du projet et de faire un appel d’offres à partir du travail accompli.

Ce n’est qu’une formule parmi d’autres. Mais une chose est sûre : il faut viser un meilleur rapport qualité-prix, plutôt que s’en tenir à la règle du plus bas soumissionnaire comme au Québec.

 

Troisième étape : occultez les frais d’exploitation

Les coûts de construction du transport structurant sont difficiles à faire avaler aux contribuables. Il est donc tentant d’occulter les frais d’exploitation qui gonfleront plus tard les déficits des sociétés de transport.

Voici pourquoi.

Les nouvelles infrastructures coûtent si cher qu’on ne peut pas demander aux utilisateurs de couvrir le tiers de la facture, comme dans le passé, car les tarifs deviendraient prohibitifs.

Pour le REM de l’Ouest, par exemple, les tarifs résultant de l’achalandage excédentaire ne couvriront qu’environ 10 % des frais d’exploitation reliés au REM. Alors qui paiera la note ? Les villes ? Québec ? Ce débat crucial doit être fait avant de lancer les projets.

Les transports collectifs sont essentiels dans la lutte contre les changements climatiques. Les décisions ne sont pas faciles à prendre, parce qu’il s’agit de très grosses bouchées. Pour y arriver, il faut une vision claire fondée sur des besoins réels. Pas des plans rédigés sur une serviette de table qui finissent dans la poubelle.

 



 

LA POSITION DE LA PRESSE

Pour débloquer nos projets de transport structurant, il faut une vision claire à long terme qui repose sur des besoins réels et non pas sur des votes. La création d’une agence serait un bon point de départ.