22 SEPTEMBRE 2023
SIPI : PAS DE TRANSPORT, PAS DE DÉVELOPPEMENT
La Ville de Montréal a déposé lors du dernier conseil de ville de l’été dernier son fameux Plan directeur du Secteur industriel de la Pointe-de-l’Île (SIPI), un document très attendu de nombreux acteurs associés au développement territorial et autres investisseurs intéressés par cette partie stratégique de l’est montréalais. Rappelons que la Ville s’était engagée à présenter ce document avant les vacances estivales cette année.
Mais c’est presqu’en catimini que le rapport a finalement été rendu public, alors que généralement ce genre d’exercice, qui a commandé des consultations publiques, est présenté en grande pompe par les administrations municipales. Par exemple, la Ville de Montréal-Est, qui est d’ailleurs englobée dans le SIPI, a présenté de façon spectaculaire son plan de développement territorial il y a quelques mois. EST MÉDIA Montréal est finalement tombé par hasard sur le document, alors que nous nous intéressions à un autre dossier en cours lors du même conseil de ville.
Pour situer le lecteur dans ce dossier, il faut savoir que le SIPI regroupe les secteurs industriels de l’arrondissement de Rivière-des-Prairies-Pointe-
Des infrastructures avant, du développement après
Selon la plupart des personnes que nous avons interviewées pour commenter ce Plan directeur, rien de nouveau ne semble finalement en sortir depuis la première vision de développement du SIPI présentée par l’équipe de Valérie Plante en novembre 2019. La difficulté majeure, admise par la responsable des dossiers de l’est au Comité exécutif de la Ville et mairesse de RDP-PAT, Caroline Bourgeois, c’est qu’il y a encore beaucoup d’inconnus dans les investissements qui seront faits par les gouvernements en matière d’infrastructures publiques. C’est en quelque sorte la poule et l’œuf, une situation particulière et unique à ce territoire, qui empêcherait la mise sur papier d’une direction plus précise en termes de développement territorial à venir dans le SIPI. « C’est clair pour tout le monde impliqué dans ce dossier que sans projet de transport collectif et structurant dans cette zone qui souffre historiquement d’un manque d’accessibilité, le développement souhaité ne se fera pas. En parallèle, il faudra qu’il y ait des ententes d’investissements majeurs avec Québec et Ottawa pour doter ce territoire d’infrastructures publiques (aqueduc, égout, routes, énergie, etc.), car Montréal et Montréal-Est ne peuvent seules assumer ces coûts astronomiques à venir. C’est pourquoi le Plan directeur laisse beaucoup de latitude pour s’adapter selon l’évolution de ces grands aspects dont nous ne sommes pas le maître d’œuvre absolu », explique Caroline Bourgeois.
Quoiqu’il en soit, le Plan directeur, rédigé par la firme Provencher_Roy, vient tout de même affirmer officiellement la volonté de la Ville de Montréal de créer dorénavant plus de zones vertes dans ce secteur au passé industriel lourd; de solidifier des pôles d’emplois reliés particulièrement aux technologies propres et au secteur alimentaire; et d’attirer des installations « associées au savoir », tels que des centres de recherche ou campus universitaires par exemple. Des orientations maintes fois répétées ces dernières années par la Ville, mais aussi par d’autres acteurs comme Québec, la Chambre de commerce de l’Est de Montréal (CCEM), la Ville de Montréal-Est, les cégeps de l’est, etc. Le document est somme toute ardu à lire compte tenu qu’il est présenté dans une forme assez technique, mais dans l’ensemble ce sont les grands thèmes qui en découlent. « C’est un plan directeur qui est très macro et dans lequel on ne retrouve pas nécessairement de nouveautés. On parle déjà beaucoup de ces éléments depuis plusieurs années mais au moins, cette fois c’est officialisé par la Ville. Il fallait que Montréal mette quelque chose au jeu, maintenant c’est fait et il faut souligner cela », affirme Jean-Denis Charest, président-directeur général de la CCEM.
Pour Julien Hénault-Ratelle, conseiller de la Ville dans Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, district de Tétreaultville, le Plan directeur du SIPI manque selon lui de sérieux et le laisse sur sa faim, dit-il. « Ça fait plusieurs années que la Ville dit vouloir déposer deux plans directeurs, celui pour le SIPI et celui pour la zone de l’Assomption-Sud – Longue-Pointe. C’était supposé être annoncé en grande pompe pour amener le redéveloppement, qui est tellement attendu de la part des citoyens. Honnêtement, je comprends l’administration Plante de l’avoir dévoilé un peu en cachette. C’est un rapport qui date de septembre dernier (2022), il a été uniquement présenté comme ça aux fins d’un conseil municipal, sans annonce. Il n’est pas public d’ailleurs sur le site web du SIPI, donc il faut aller dans les documents du conseil pour le retrouver. Je comprends l’administration de ne pas le mettre de l’avant, parce que la situation actuelle n’est pas rose. » NDLR : le document a depuis été publié sur le site de la Ville (voir référence en fin d’article).
Le conseiller reprend par ailleurs les mêmes arguments que Caroline Bourgeois, mais sous un autre ton. « Pour réussir un développement de l’est de Montréal ça va prendre trois éléments centraux qui sont selon moi complètement essentiels et si l’un des trois manque, ce redéveloppement ne pourra pas se faire de façon optimale. Je parle ici d’un projet de transport en commun structurant, pour venir désenclaver l’est de Montréal. Ça prend également la mise en place des infrastructures municipales, que ce soit les rues, les routes ou les égouts. Et le troisième élément, qui touche tout particulièrement l’est, c’est la question de la décontamination des terrains. Malheureusement, le document n’est vraiment pas concret sur les actions à entreprendre pour venir réussir la mise en place de ces trois éléments-là », soutient Julien Hénault-Ratelle.
Chez Provencher_Roy, on affirme que le Plan directeur du SIPI ne présente pas une « vision idéalisée » du développement de ce secteur d’ici 2050 et au-delà, comme l’ont laissé entendre certains intervenants interviewés par EST MÉDIA Montréal. « Nous pensons que le redéveloppement de ce territoire immense et à fort potentiel, une fois décontaminé, pourra se prêter à un développement mixte avec une dominante d’industries vertes, non polluantes, basées sur une économie circulaire. Les zones qui composent le territoire d’étude, dépendant de leur localisation en rapport au fleuve, aux autoroutes, présentent différents potentiels, soit pour des industries ou pour autre chose. Les milieux mixtes offrent un développement optimal du territoire, une occupation constante, gage de sécurité et d’optimisation des infrastructures civiles et de transport collectif; ils sont la voie de l’avenir. Le zonage monofonctionnel n’a sa place qu’en de rares occasions (ex : industries lourdes, zones portuaires, aéroportuaires etc.); le zonage multifonctionnel est privilégié quand faire se peut; tout est dans le dosage des différentes fonctions et de la manière dont ces dernières cohabitent. Je conclus en vous disant que le mandat a pris beaucoup plus de temps que prévu car il s’agissait d’un mandat complexe, portant à réflexion et surtout, hautement stratégique », s’est exprimée Josée Bérubé, associée responsable du projet du Plan directeur chez Provencher_Roy.
Et maintenant?
« La priorité actuellement pour ce secteur n’est pas tant ce qu’on va y faire que de partir le chantier », avance Jean-Denis Charest, qui somme maintenant les paliers de gouvernement à passer à l’action. Selon ce dernier, la CCEM est d’avis que l’on devrait revoir l’approche au niveau des terrain contaminés. « Il faut que les trois paliers de gouvernement prennent les choses en main pour accélérer la création de terrains stratégiques prêts à accueillir des projets structurants car c’est l’œuf et la poule en ce moment. On devrait prendre Bécancour comme exemple. Évidemment, il faut que les infrastructures publiques soient mises en place. Finalement, il faut absolument qu’un accès au transport collectif soit confirmé, c’est urgent. Le Plan directeur est un bon point de départ, mais il reste encore tout le travail à faire. »
La mairesse de RDP-PAT aussi croit qu’il faut maintenant accélérer la cadence pour le développement du SIPI, mais également de l’est de Montréal dans son ensemble. « On est à la croisée des chemins. Ça prend un projet de transport et il faudra s’entendre rapidement car on ne peut pas attendre des années avant de se décider, c’est long construire un réseau structurant. Ça va nous permettre aussi de construire beaucoup de logements autour, il ne faut pas oublier ça également. Le Plan directeur du SIPI n’est pas non plus une fin en soi quant à notre vision de développement pour tout l’est de Montréal. Ça indique les lignes directrices d’un secteur très particulier, mais on met actuellement énormément d’énergie pour planifier la revitalisation de l’est dans son ensemble. Sur les plans de l’habitation, de la mobilité, de l’environnement et des espaces verts. Il y a des annonces qui s’en viennent bientôt concernant l’est de Montréal. De l’action concrète, il va y en avoir. Surveillons notamment ce qui sortira du Sommet d’est en Est1 en novembre prochain », conclut Caroline Bourgeois.
1. En référence à l’initiative D’est en Est pilotée par la CCEM, des acteurs de la société civile, et appuyée par les trois paliers de gouvernement, et au point culminant que sera le Sommet de l’Est le 13 novembre prochain.
Pour consulter le Plan directeur du SIPI, cliquez ici.
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